Que retenir des différentes prises de paroles au cours du  Colloque organisé  le 28 Septembre 2022, autour de cet appel  « Choisir sa mort – Quels enjeux aujourd’hui pour toi et moi ? »

Bien sûr ce Colloque a été organisé dans ce bel Espace Bonne Nouvelle, destiné à être un lieu de réflexion et de transmission des racines de notre culture. Il a été organisé  après la parution d’un avis de Comité  Consultatif National d’Ethique sur la question posée par le Gouvernement qui pensait devoir faire évoluer la législation sur la « fin de vie », et une probable consultation des citoyens sur cette question qui engage notre pacte social, fondé sur le respect de la dignité de toute personne aussi faible soit-elle.

Mais le Professeur, Jacques RICOT, dans un propos liminaire, nous a amené à réfléchir à la dimension anthropologique de ce projet 

« Nous autres humains, dit-il, sommes marqués par notre finitude et deux événements en portent la marque : la naissance et la mort. Ce sont les deux seuls événements de l’existence non réitérables et échappant totalement à notre maitrise. Nous n’avons pas choisi de naître et n’avons pas choisi de mourir. L’anticipation de la mort ne modifie nullement cette donnée. Il se pourrait même qu’on en vienne à se suicider par peur de la mort. Ce paradoxe a été souvent signalé par les philosophes (Lucrèce, Sénèque, Montaigne…). On peut d’ailleurs se demander si aujourd’hui nos contemporains n’ont pas remplacé la méditation sur notre condition de mortels par la préoccupation des conditions du mourir. Celles-ci sont devenues tellement obsédantes, en particulier sous la forme du débat autour de l’euthanasie et du suicide assisté, que la liberté individuelle d’en finir est en train de prendre le pas sur la fraternité dont le soin dû à l’autre est l’expression la plus haute.

Or, voici que la nature du soin palliatif, et même du soin en général est aujourd’hui en danger, au nom d’une conception dévoyée de la fraternité. Cela mérite bien un colloque.

1ère partie :  L’état des lieux :

qu’existe-t-il pour venir en aide aux personnes en fin de vie ?

Docteur, quelle est votre réflexion sur l’avis rendu par le CCNE, avis qui semble ouvrir une porte sur l’évolution de la loi actuelle.

Le Docteur Vincent Morel, responsable des Soins Palliatifs au CHU de Rennes

Celui-ci qui accueille tous les jours des personnes qui s’interrogent sur leur fin de vie, affirme que la demande de ces personnes évolue beaucoup car, ce que nous proposons c’est d’abord le soin, alors qu’elles demandent, peut être des soins, mais surtout  elles expriment leur volonté de maîtriser leur fin de vie. Elles mettent en exergue les notions de liberté, d’autonomie. Comment répondre à cette volonté et à la  question que toute personne peut se poser face à sa fin qu’il pressent ? Certes il y a des points sur lesquels tout le monde est d’accord le refus de souffrir, de l’acharnement thérapeutique, mais aussi le constat de  la difficulté d’avoir recours aux soins palliatifs. Il y a aussi des points sur lesquels on est en désaccord : comment définir la dignité ? doit-on aller vers une approche individuelle ou collective ? Qu’est-ce que la grande vulnérabilité ? Le plus important, pense el Dr Morel,  est de réfléchir à ce qui nous unit et au rôle de chacun. Sur le point des soins, nous avons des réponses satisfaisantes mais trop peu dispensées… Sur le rôle des soignants, la réponse est claire, ils ne peuvent donner la mort.

Mais compte tenu de l’évolution des mentalités ce qui semble le plus important, c’est dans ce combat contre la peur de la mort, de chercher à calmer les angoisses, tout en respectant ceux qui, comme nos amis belges et canadiens ont intégré dans leurs pratiques l’aide active à mourir, car ils  pensent que l’euthanasie est « un geste d’humanité ». C’est pourquoi il est important de ne pas aller vers une réponse binaire, mais d’essayer de prendre le temps de réfléchir ensemble à cette question si complexe

Professeur, avons nous effectivement besoin d’un nouveau texte de loi ?

Le professeur Jean René BINET, auquel on a demandé si nous avions effectivement besoin d’un nouveau texte de loi. Après avoir expliqué les Lois qui étaient actuellement en vigueur, la Loi Claeys-Leonetti de 2016 qui a été précédée par Loi Leonetti du 22 avril  2005, qui a marqué un véritable changement, car elle apportait une réponse en deux temps qui sont les deux piliers de la Loi française en ce domaine :

  • il fallait laisser la mort venir et ne pas lutter de manière déraisonnable contre la mort lorsqu’elle vient 
  • et en même temps accompagner le patient, soulager sa souffrance pour permettre à cette fin de vie d’être la plus belle malgré tout jusqu’à la fin

En 2016 une évolution de cette Loi a été votée, la Loi Claeys-Leonetti : il s’agit là

  • d’introduire la notion de directives anticipées, de refus de continuer le traitement s’ils sont jugés inutiles (par le patient ou par son entourage s‘il est inconscient)
  • mais aussi  de tout faire pour limiter la souffrance du patient, en instituant le droit à l’analgésie, le  droit à une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès.

Si tout cela était fait, il ne devrait pas y avoir de demande d’euthanasie, c’était la conviction du législateur en 2005 et en 2016. Or actuellement l’avis du CCNE ouvre la possibilité de donner la mort par le moyen de l’euthanasie… Et là une question fondamentale se pose :

  • à trop prendre en considération des situations individuelles et la volonté exprimée par un nombre très limité de personnes, notre système juridique ne risque-t-il pas d’être fragilisé dans son existence même ? En effet, l’interdit de donner la mort est une règle de droit objectif qui ne saurait être écartée au seul motif de la volonté individuelle contraire.
  • mais aussi ne serait-ce pas supprimer  un interdit anthropologique fondamental comme l’interdiction de tuer autrui au prétexte de l’avis du CCNE qui puise ses intentions dans des désirs exprimés par un nombre très minime de personnes lorsqu’elles sont accompagnées. Le véritable enjeu réside dans les moyens devant être alloués aux soins palliatifs

Professeur, qu’est ce qu’une légalisation sur l’euthanasie signifierait  et qu’impliquerait-elle sur le plan éthique et humain ?

Le professeur Damien LE GUAY, philosophe a répondu à cette interrogation que beaucoup se posent : qu’est ce qu’une légalisation sur l’euthanasie signifierait  et qu’impliquerait-elle sur le plan éthique et humain. Il est nécessaire de prendre de la hauteur  par rapport à cette question et peut être avoir une approche un peu différente. Constatant que l’on est sur « une rupture anthropologique » – ce qui n’est pas rien. Cette rupture suppose de « faire mourir » et non, seulement, de « laisser la mort venir ». Cette ligne rouge est ténue mais elle serait franchie. Ne pas voir la différence, est-ce grave ? Oui. Et si tout est prévu d’avance, il est à craindre que ces « conventions citoyennes » soient de pures façades, des simulacres de démocratie participative. Cette « corruption » de la démocratie est en soi un problème politique, comme si le débat n’avait pas d’importance.

Cette rupture est actée par le CCNE. Dans un langage très subtil, il donne l’autorisation éthique au suicide assisté et à l’euthanasie. Ils sont des droits. Et l’euthanasie est même devenu (article 16) une « offre éthique » pour ceux qui ne peuvent pas se suicider. On marche sur la tête. Cet avis manifeste une confusion entre le politique et l’éthique. L’éthique s’est corrompue en donnant cet avis, elle n’est plus autonome du politique qui lui a demandé une autorisation.

Quelles sont les questions implicites de cet avis ? 

  • Derrière l’euthanasie, une question serait posé par les médecins aux patients : « tu as raison de te considérer en trop. Tu es à la charge. J’ai une solution pour toi ». Et le pire de tout est que cette question se pose pour si peu de monde. 1% des malades. Une tête d’épingle qui viendrait bouleverser tout l’équilibre des soins pour tous ceux qui viennent à mourir en France.
  • Le CCNE ne parle pas des familles. Le suicide et l’euthanasie demandent un accrords des familles. Comment participer au « meurtre » de sa mère ? Culpabilité qui s’ajoute à la culpabilité.
  • Les soins palliatifs.Le ccne semble dire « on ne fera rien », « on laissera l’injustice face à la mort perdurer » mais, on à une solution. Mêmes les Mutuelles s’y mettent ! Or, on sait tous qu’il faut mettre le paquet sur les soins palliatifs.
  • Question économique. L’euthanasie pour économiser des « bouches inutiles » pointe à l’horizon même si cette question n’est pas à l’ordre du jour.
  • Que veut-on écourter ? Va-t-on écourter la souffrance ? Non. Oui. Mais surtout ne veut-on pas écouter ce face à face avec ses proches et cette mort qui vient. Ne s’agit-il pas de chasser la « conscience spirituelle » de la mort, cette explication avec soi-même dans le temps qui nous est donné, ce moment où nous où on s’explique, où on se dit tant de choses qui permettent  de s’expliquer, de se comprendre mieux, d’atténuer le deuil ?

Docteur,  expliquez nous ce que sont ces soins palliatifs dont on parle tant !

C’est alors que Marie Laure de Latour, médecin responsable d’une unité de soins palliatifs de la Clinique Saint Laurent de Rennes, a pris la parole pour montrer cette éthique de la responsabilité qui l’anime face aux personnes qui souffrent et qui vieillissent,  montrant concrètement et dans son quotidien ce que sont les soins palliatifs. Il est difficile de parler de ces soins, car ou bien on ne connaît pas du tout ou bien on pense que nous sommes des braves personnes qui tiennent seulement la main des gens…  Ce qui est vrai c’est qu’ils consistent en un accompagnement non médicamenteux mais maitrisant également tout un arsenal thérapeutique.

Qui est concerné par les soins palliatifs ? Toute personne qui un jour découvre qu’elle a une maladie incurable et quel qu’en soit le stade ? Il s’agit d’aider, de soutenir, d’améliorer la qualité de vie  en parallèle avec les soins curatifs. Ce n’est pas seulement des soins des derniers instants. Ces soins peuvent aider à mieux vivre le temps de la maladie… et pas seulement les derniers instants.

Où sont pratiqués les soins palliatifs ? Partout, chez soi, à son  domicile, dans les EHPAD, avec les acteurs de terrains que sont les médecins, infirmières,  les  services de soins à domicile  … il existe aussi des équipes de soins palliatifs qui se déplacent au domicile et même  la possibilité de bénéficier d’une HAD, hospitalisation à domicile, lorsque la situation devient plus complexe, en lien avec l’hôpital mais également dans les hôpitaux, dans les différents services … pour répondre aux différentes situations.

Dans

Dans cette période où on a recours aux soins palliatifs, il faut savoir que les patients sont de mieux en mieux informés de leurs situations. Mais  à cela peut s »’ajouter des peurs, la peur de souffrir en particulier, la peur de laisser ses proches. Il nous faut essayer de redonner du sens au temps qu’il leur reste à vivre … leur permettre de penser à de nouveaux projets. Tous cela c’est l’essentiel. Et c’est le travail des soignants : les unités de soins  palliatifs, ne sont rien sans les soignants, ces soignants qui nous apprennent tous les jours comment soigner les patients. Voici des témoignages de personnes travaillant dans l’Unité de Soins Palliatifs de Saint Laurent chacune apportant leur expérience et leur réflexion sur la beauté de leur mission,

Caroline, aide soignante depuis 10 ans, qui témoigne de la devise de son équipe « On ne laissera personne à terre ». Témoin de nombreuses fins de vie, d’agonies, qui est le temps des rendez vous ultimes tellement impressionnants. Ce moment où tout un enchaînement de défaillances organiques ou viscérales  peut être, si on  y regarde de plus près, un temps nécessaire et peut-être même le rendez-vous de notre vie. Parfois même on a vu des personnes qui attendaient pour mourir par exemple une rencontre… Notre rôle dans ces dernières minutes de la vie est peut-être de permettre ce rite du passage si fort que notre société a peut-être trop oublié.

Emilie, infirmière depuis 14 ans dans ce service auquel elle n’était pas préparée, a découvert  combien sa sensibilité était devenue un atout et combien chacun des soins qu’elle prodiguait avait du sens pour elle et pour son équipe si soudée  autour de « cette jolie culture palliative ». Prendre les décisions en équipe pluridisciplinaire pour essayer de mieux comprendre l’état global du patient Mais aussi anticiper lorsqu’on donne des soins de façon que le patient ne soit pas surpris mais comprenne ce qu’on lui propose : cela est important car toute situation est complexe et que le centre pour toute décision est le patient. Les soins palliatifs c’est aussi élaborer une relation de confiance avec le patient mais aussi avec sa famille, car pour elle c’est difficile de le quitter le soir… Et là la nuit les tabous tombent les patients appellent à parler de tout et même de la mort vers laquelle ils s’acheminent.

Valérie, infirmière depuis 8 ans, a choisi de travailler dans cette unité où elle a trouvé ce qu’elle cherchait à développer des soins plus humains, de faire du sur mesure. Et là elle a appris beaucoup ; l’importance du regard porté à l’autre regard qui fait exister, le soin qui n’équivaut pas forcément à prendre soin et inversement, ne pas toujours avoir la réponse, mais être là. Le soin palliatif c’est savoir s’adapter à chaque patient, qui sont tous différents, à leur entourage. Et savoir introduire la famille dans cette Unité, quand cela est demandé.

Véronique, présente un chien d’assistance, appelé Laponie, qui depuis 3 ans intervient auprès de patients dans l’Unité de soins palliatifs. Laponie est très sensible à la détresse, à la tristesse et lors de ses passages dans les services, elle entre dans les chambres et elle adapte son comportement aux patients, elle réussit à établir un lien avec eux différemment selon leurs besoins, et e nombreux exemples ont été donnés. Laponie est devenue un maillon indispensable dans l’Unité de Soins .

2ème partie :

Face à ces  propositions sommes nous libres de choisir notre chemin ?

Pour répondre  cette question nous avons invité trois personnalités qui son engagées dans cette réflexion depuis longtemps et ont assumé des responsabilités dans le secteurs des soins palliatifs, dans l’Eglise Catholique et au niveau de la Recherche universitaire.

Madame la Présidente, comment voyez vous le débat qui se profile et comment voyez vous la place des soignants dans ce débat ?

Claire FOURCADE, médecin de soins palliatifs  et  présidente nationale de la Société Française d’Accompagnement des Soins Palliatifs, la SFAP.

Nous sommes tous concernés par la question de la fin de vie, et en particulier les patients et les soignants. Nous savons notre responsabilité aujourd’hui qui est de faire entendre la voix des patients. Un débat politique est lancé non pas en partant du terrain, mais d’une  niche parlementaire qui a conçu une proposition de loi sur l’euthanasie et le suicide assisté, sans tenir compte de ceux qui sont auprès de ces personnes en fin de vie. L’article 1 a été voté en partie par 80% des députés présents. D’où la prise de conscience qu’il faut absolument faire comprendre la réalité de cette fin de vie. Comment faire ?

Il faut savoir que la loi actuelle répond aux besoins des patients,  son objectif étant de soulager quoi qu’il en coûte !  Ce message est important pour chaque patient, pour ses proches et pour les soignants, car il y a des jours où c’est bien difficile et de savoir que la société nous soutient c’est très important !

Si ce message collectif de la loi change, et permet d’aider chacun quelque soit son désir, au nom de son nous faut réussir à faire prendre conscience que bien sûr il faut écouter toute demande même celle de mourir, mais autre chose est de dire que nous, la société, on peut vous faire mourir  …

En fait il y a un double défi :

  • être capable d’entendre tout patient qui demande de mourir,  cette demande est souvent le fruit d’une grande souffrance, et ensuite avec lui essayer de bâtir un accompagnement.
  • mais aussi  de prendre le temps de réfléchir  avant de décider que la société peut accepter de donner la mort à l’un des siens.

Cette réflexion va commencer avec des débats organisés dans les Régions, après que se soit réunie une Convention citoyenne. Mais on ne sait pas comment les choses vont se passer ni sur quelle question on va réfléchir… A nous d’être présent dans ces débats et de communiquer sur cette belle mission des soins palliatifs auprès du grand public comme des politiques et des corps institués.

Comment avez-vous reçu, Monseigneur l’avis du CCNE ? Comment l’Eglise se positionne-t-elle dans ce débat de société ?

Mgr Pierre d’ORNELLAS                   

J’ai reçu cet avis avec étonnement mais je m’y attendais. En effet lorsque j’ai été auditionné, on m’a dit que pour les situations « à court terme » tout était résolu avec la loi actuelle, mais qu’il fallait avancer pour les personnes en situation « à moyen terme », c’est à dire avec une durée de vie estimée entre « quelques semaines et quelques mois… » Pour ces situations là il fallait prévoir autre chose, autre chose qui s’apparente à une « aide active à mourir » : l’euthanasie ou le suicide assisté. Or, je suis étonné de constater que le rapport Sicard, de 2012, n’inspire pas l’Avis du CCNE, alors qu’il répond à cette interrogation puisqu’il dit que les soins palliatifs doivent commencer dès qu’il y a du soin curatif, et qu’au fur et à mesure que les soins curatifs diminuent, les soins palliatifs augmentent. Le Conseil de l’Europe dit même que « les soins palliatifs sont essentiels à la médecine », non pas à la fin de vie mais « à la médecine » ! Les soins palliatifs sont donc aussi faits pour accompagner les situations « à moyen terme ».

Cependant, il demeure aujourd’hui une question qui imprègne les mentalités : l’autonomie comprise comme une liberté absolue. Si quelqu’un demande l’aide active à mourir, il semble légitime de répondre à cette demande en raison de l’autonomie. Là est la difficulté car s’il y a accompagnement – donc relation – peut-on dire qu’il y a liberté absolue ?

L’Eglise témoigne de la foi ! Elle appelle, comme l’enseigne le pape Jean Paul II, à considérer l’être humain comme un « être en relation ». Or, à vouloir, comme aujourd’hui, mettre en valeur l’autonomie à ce point, on risque de négliger le fait que tout être humain appartient toujours à un corps social et que ce corps social, ce peuple auquel il appartient, lui est vital.

Je peux ajouter ceci aux propos de Jacques Ricot : les soins palliatifs peuvent être vus aussi comme un accompagnement qui prépare au passage vers l’éternité de Dieu ! Ce qui m’émerveille, c’est de voir combien cet accompagnement vers l’éternité de Dieu est vécu le plus possible dans la paix. Face à une question sur la mort toujours présente dans un Service de soins palliatifs, un cadre infirmier a répondu : « c’est notre victoire » parce qu’on fait en sorte que toute personne parte en paix, de façon paisible… En effet, Dieu est le Dieu de la paix ! Il me semble que quelle que soit la manière dont la mort arrivera, de façon naturelle ou létale, Dieu n’abandonne jamais, il reste présent. Il est fidèle à notre humanité. Quoiqu’il arrive sur le plan légal, nous continuerons à accompagner, à aider la fragilité. Tel est notre engagement d’Eglise.

Pour faire face à ces questions, nous devons nous attacher à définir la société que nous voulons. Là est la vraie question. Or il y a de beaux signes surprenants dans l’Avis de CCNE : on peut y lire en effet ce constat : « La subtile fécondité inhérente à l’expérience de la vulnérabilité. » Voilà une lumière ! De même, il existe une lumière qui éclaire notre société. C’est plus qu’un garde-fou… : « Tu ne tueras pas » qui organise notre société démocratique. Il est vrai qu’il est insupportable de voir souffrir une personne, mais lui donner la mort n’est-ce pas encore plus inacceptable ? C’est contraire à toute fraternité. Accompagner le souffrant tisse une relation fraternelle en vue d’apaiser la souffrance. La Bible montre à travers l’histoire de son peuple que le projet de Dieu est d’arriver à construire une fraternité ; cela a été difficile ! C’est devenu possible grâce à cet interdit « Tu ne tueras pas ».

La question qui nous est posée c’est de savoir, dans le cas où certaines décisions seraient prises, si on est libre de penser autrement ? Comment avoir un débat apaisé sur cette question ? Comment éviter les postures ?

Jacques RICOT, philosophe qui a travaillé sur les questions de société qui mettent en question ses fondements éthiques.

Le débat apaisé que nous cherchons est d’abord dans la forme : ne nous invectivons pas, car celui qui pose un acte différent du mien, qui a une vision différente de la mienne, n’est pas moins humain que moi. Et ce soir je vois le même désir de bien faire, dans les deux situations que l’on a évoquées, celle de l’euthanasieur et celle du soignant qui refuse de pratiquer l’euthanasie. En revanche, en tant que philosophe, lorsque j’essaie de comprendre le travail de ceux qui sont au chevet des plus vulnérables, je vois des personnes éclairées et d’autres qui me semblent être dans le brouillard, comme ces soignants québécois disant qu’ils prodiguent un soin au moment où ils arrêtent le soin : il y a là une confusion mentale et lexicale. Ils pensent bien faire mais ils ne voient pas clair.

En serait-on arrivé comme le disait Bernanos au moment où on est en train d’amalgamer le soulagement de la souffrance avec l’élimination du souffrant ? Houellebecq, un écrivain si différent, a été jusqu’à écrire « Lorsqu’un pays – une société, une civilisation – en vient à légaliser l’euthanasie, il perd à mes yeux tout droit au respect ». Nous devrions écouter les artistes, les écrivains et leurs prémonitions. Oui, il y a bien une rupture anthropologique, civilisationnelle quand on s’autorise à dire à autrui : « oui la vie ne vaut pas la peine d’être vécue, il est bien normal qu’on t’aide à disparaître puisque tu le demandes ». Je pense que c’est là une monstruosité, tellement grosse qu’on ne la voit pas. C’est pourquoi il est urgent d’éclairer les consciences et non de faire un usage dévoyé de la compassion. En effet, où en sommes-nous dans nos démocraties fatiguées pour trouver légitime qu’à celui qui demande à s’en aller on lui réponde : « Mais oui je te comprends, moi dans la même situation je ferais de même, il est normal que tu veuilles disparaître et que je t’aide à disparaître » ? Rien ne va plus. J’entends les demandes des personnes qui vivent en EHPAD ou ailleurs et qui disent : « Si vous m’aimez faites-moi une piqûre ». Je connais trop bien la douleur de ceux qui sont confrontés à pareille parole et qui savent y résister avec toute l’énergie de leur amour. Et je trouve insupportable de penser que comme réponse, comme « aide », en ces moments, la société ose en appeler à la prétendue autonomie (ce concept si mal compris) des personnes vulnérables. Or, en ces circonstances, plus que jamais c’est de relation qu’on a besoin !

On a fait référence à un article qui figure dans le Code la santé et que je veux rappeler dans sa littéralité : « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. » Le mot le plus important est le mot « avec », celui qui renvoie à l’alliance thérapeutique.

À des personnes qui disent qu’elles veulent mourir parce que leur espérance de vie s’est réduite et que ce que l’on appelle leur « qualité » de vie s’est altérée, voici qu’on croit devoir leur répondre : « Oui fraternellement, je vais te faire mourir dans des conditions éthiques… » ? Quel  simulacre ! J’ai sursauté en lisant le récent avis du Comité consultatif national d’éthique et la rupture colossale qu’il a introduite en la déguisant sous le terme d’une simple évolution : peut-il y avoir des manières éthiques de « faire mourir » les gens ? Le mot éthique est employé à toutes les sauces. On apprend ainsi que ceux qui profitent du marché de la pornographie défendent une conception éthique de la pornographie. Il est grand temps de mesurer les conséquences d’une conception curieuse de cette prétendue liberté consistant à exiger du corps social qu’il nous supprime quand nous le demandons et que nous remplissons les critères (dont on sait qu’ils ne cessent de s’élargir) fixés par la loi.

Trois personnes, au moins, m’ont énormément influencé dans les positions que j’ai fini par prendre sur ces questions.

  • La première personne est Michel Vaxès, député communiste, qui a déclaré au Parlement en 2009 : « Je refuse d’inscrire dans notre droit que la mort puisse être rangée parmi les ultimes “thérapeutiques“. La civilisation ne commence et n’avance que par les interdits qu’elle proclame et les limites qu’elle fixe. Celles-ci sont pour moi intransgressibles. Nous savons tous ici qu’une dérogation admise risque toujours d’autoriser la suivante. C’est ce qu’exprime la sagesse populaire lorsqu’elle affirme que “lorsque les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites” ».
  • La deuxième personne, c’est Axel Kahn. Alors que son père s’était suicidé, il a écrit un livre sous le titre « L’ultime liberté ? pour démontrer que celui qui se suicide n’est pas libre. Et, pourtant, lors des mois qui ont précédé son décès, très médiatisé, personne n’a relevé cette position très claire et engagée. Et quand il était candidat du PS aux élections législatives, en 2012, il m’avait dit : « Si je suis élu et qu’une telle loi en vienne à être proposée, je monterai à la tribune pour dire : “Stop ce n’est pas possible ! ” »
  • La troisième personne que je veux mentionner, c’est Robert Badinter, qui a toujours soutenu Jean Leonetti et qui disait qu’il ne fallait surtout pas toucher aux fondements de la loi du 22 avril 2005. « Le Code pénal, a-t-il déclaré, a une fonction expressive ; elle est à son plus haut niveau quand il s’agit de la vie et de la mort. Sur ce point, je ne changerai jamais. Nul ne peut retirer la vie à autrui dans une démocratie. […] créer une législation pour des cas exceptionnels n’est pas la bonne façon de les résoudre. La façon de les résoudre, c’est de déférer ces cas à ceux qui ont le devoir d’en connaître et de voir comment faire en sorte que justice soit rendue, y compris par un acquittement qui reconnaîtra publiquement – et c’est un avantage pour le bénéficiaire – qu’il n’y a pas homicide au sens où on l’entend communément. » Pour le dire dans un autre langage, on confondrait la négation de la loi et sa transgression. L’instance juridique viendrait modifier l’instance judiciaire en profondeur.

Je voudrais terminer par un témoignage personnel : un de mes meilleurs amis est décédé récemment, il était à sa naissance atteint d’une maladie mortelle incurable (tétralogie de Fallot). On avait dit à sa maman « Ne vous attachez pas à lui ». Il est décédé à 85 ans. Son fils a dit lors de sa sépulture « mon père a été en soins palliatifs toute sa vie… »  Pourquoi ? Parce qu’on n’a jamais su guérir sa maladie mortelle et incurable … Il a cependant eu cinq enfants, a été adjoint au maire de Nantes Jean Marc Ayrault, et aussi Doyen de la Faculté de sciences etc.  Oui, il a été en soins palliatifs toute sa vie. Pourquoi ? Sa maladie était incurable et cela ne l’a pas empêché d’avoir un horizon autre que la guérison.

Un jeu de mots pour finir : « Nos jours sont comptés, nous sommes mortels, mais c’est pour ça qu’ils comptent et que nous ne devons pas les gaspiller. »

Notes sur la conférence Fin de vie